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Actualités

17.03.21

Témoignage de Sylvain

Rhizome a recueilli le témoignage de Sylvain qui revient pour nous sur son vécu, son entrée et sa sortie du monde complotiste.

Sylvain, qui anime depuis quatre ans la chaîne youtube DeBunker des étoiles, nous parle aujourd’hui de son adhésion à différentes théories du complot puis de la façon dont il s’en est détaché, en commençant par préciser que son histoire n’a rien « d’extrême », à l’image de son engagement d’alors. Son témoignage évoque les raisons de l’adhésion, le difficile processus de remise en question mais aussi les points positifs qu’il tire de cette expérience.

Merci à lui pour sa confiance.

 

De la découverte de La révélation des pyramides

Le premier contact de Sylvain avec les théories du complot se fait par l’intermédiaire d’un ami qui lui montre un documentaire : La révélation des pyramides, un film présentant la construction des pyramides comme l’œuvre d’une ancienne civilisation disparue. Le documentaire lui parait particulièrement convaincant grâce à des artifices rhétoriques qu’il détaille aujourd’hui : la réalisation présente dans un premier temps des éléments relativement crédibles qui préparent le spectateur à la réception des thèses les plus extrêmes, détaillées en seconde partie. Pour Sylvain qui se décrit comme très curieux, ce visionnage fait l’effet d’une révélation : « Si on m’avait menti sur l’égyptologie depuis mon enfance, si je pouvais le remettre en question, je pouvais tout remettre en question. Ça voulait dire qu’un million de connaissances nouvelles s’ouvraient à moi. ».

Il n’hésite pas à souligner l’ironie de la situation : prêt à penser par soi-même, on ne réalise pas alors qu’on pense comme le documentaire nous intime de le faire, sans vérifier les thèses avancées. Il décrit l’emballement qui suit, le passage d’un documentaire à un autre, d’une théorie à une autre, chaque croyance admise facilitant l’acceptation de la suivante. « On ne s’en rend pas compte parce qu’on s’enfonce petit à petit dans l’absurde et l’incohérence ». La logique commune de ces idées réside, en fait, dans leur principe de rébellion face aux autorités. Sylvain précise qu’il était « un peu rebelle », à l’époque, révolté par les injustices et les inégalités dans le monde, et que ces thèses ont finalement représenté pour lui le moyen de lutter contre ça. « Au début, c’est très flatteur pour l’égo de croire aux théories du complot, parce qu’on appartient au cercle des personnes informées alors que les autres ne se rendent pas compte de la vérité ».

Réalisant qu’il s’agit d’un sujet sensible, il évite malgré son enthousiasme de l’aborder avec ses proches. Une discrétion qui facilitera largement le maintien des relations avec son cercle social, même si celui-ci n’échappe pas à quelques remous. Sylvain mentionne des tensions avec certains amis, notamment l’un d’eux qui ne supporte pas son adhésion nouvelle aux thèses négationnistes sur la Shoah ; des rapprochements, surtout avec un autre ami qui lui parle de la théorie des chemtrails*. Il ajoute que le milieu complotiste est très politisé et qu’il est naturel, dans ces conditions, qu’il provoque un éloignement des personnes qui n’adhèrent pas aux idées politiques sous-jacentes aux théories exprimées. Pour lui, heureusement, ces deux univers ont coexisté : parmi ses proches, il y avait ceux qui étaient plutôt sceptiques et ceux qui étaient d’avantage réceptifs. Une coexistence qui a duré longtemps : « On n’a pas envie non plus de perdre ses anciens amis juste parce qu’ils ne croient pas aux mêmes choses que nous. Il suffit d’éviter le sujet. ». Dans le cercle familial, la situation est la même. Sylvain raconte avec amusement les réactions de son père, un « sceptique de nature », passionné d’archéologie, alors qu’il tente à l’époque de montrer à ses parents La révélation des pyramides ou un documentaire de Robert Faurisson sur les chambres à gaz. Il décrit l’agacement qu’il a ressenti alors que son père vérifiait et contredisait les théories avancées dans ces films : « C’est assez paradoxal parce qu’évidemment je me croyais beaucoup plus malin que la moyenne mais, d’un autre côté, quand j’adhérais à fond à une théorie complotiste ou à un documentaire que j’avais vu, si quelqu’un à qui je le montrais avait l’audace de vérifier l’une des infos qui étaient dans le docu, je le prenais très mal. »

 

… au rejet du moon hoax

Le détachement de Sylvain vis-à-vis des discours complotistes tient à une combinaison de facteurs. Le premier de ces facteurs vient d’une vieille passion pour l’astronomie. Alors qu’il est très sensible à la rhétorique complotiste, « l’argumentaire en mille-feuilles », l’une de ces théories reste inacceptable pour lui : le moon hoax, ou canular lunaire, qui prétend que l’humanité n’a jamais posé le pied sur la lune. Grand consommateur de livres sur l’astronomie et les missions Apollo depuis l’enfance, les vidéos sur le canular lunaire lui paraissent « d’une bêtise profonde et affligeante ». Ce qu’il ressent comme une dissonance : « Je me disais : c’est bizarre, le documentaire est convaincant, il y a la même musique mystérieuse que d’habitude, il y a les mêmes arguments assénés à la suite, par dizaine, et pourtant, là, ça me pose un problème. » C’est que, contrairement aux autres théories du complot, il n’a pas envie d’y croire. Le moon hoax entrait en contradiction avec ses connaissances, ce qui le rendait beaucoup plus critique envers les arguments qu’on lui présentait. « Tous les gens font ça, c’est ce qu’on appelle le biais de confirmation ». Pour la première fois, Sylvain décide de vérifier chaque information donnée par le documentaire et, dans le processus, fait deux découvertes : d’abord, qu’il prend beaucoup de plaisir à effectuer ce fact checking, ces recherches ; ensuite, que toutes les informations données par le film étaient soit entièrement fausses soit, plus généralement, déformées pour aller dans le sens de la théorie proposée par la vidéo. L’indignation qu’il ressent face au travail des auteurs du documentaire, face à leur contre-productivité dans le « travail de recherche de la vérité », l’incite même se demander si cette révélation pouvait être l’indication d’un « complot dans le complot », qui viserait à propager une fausse théorie pour discréditer les autres. « [La théorie du moon hoax] m’a tellement dérangé que je me suis mis à la débunker dans les commentaires youtube ». Chaque fois qu’une vidéo discute du canular lunaire, Sylvain entreprend de répondre à tous les commentaires favorables, présentant arguments et sources contredisant la théorie du complot. Une situation qu’il qualifie lui-même d’étrange où il est à la fois debunker du moon hoax et convaincu par « à peu près toutes les autres théories ». Toutefois, il fait face à un retour hostile qui le surprend : « Je me disais : c’est bizarre, je leur donne les mêmes informations qui m’ont convaincu, je leur donne des éléments factuels, toute la vérification, et ils le refusent. Ils ne veulent même pas aller les voir. ». Les réponses qu’il reçoit à propos du canular lunaire sont en fait les mêmes qu’il donne aux sceptiques à propos des théories que lui défend. Une situation qui ne pouvait pas durer bien longtemps, commente-t-il, alors qu’il se rendait peu à peu compte de son étrangeté.

Dans le contexte de cette prise de conscience progressive, Sylvain fait la découverte du milieu de la zététique. Depuis un moment déjà, l’un de ses amis lui envoyait régulièrement des vidéos de vulgarisateurs scientifiques ou sceptiques, certaines réussissant à réellement éveiller son intérêt. Il ne néglige pas cette influence discrète mais c’est, finalement, la découverte des chaînes youtube La Tronche en biais et, particulièrement, Hygiène Mentale qui va constituer le deuxième grand facteur de son détachement vis-à-vis des théories du complot. Ces zététiciens, qui s’attardent notamment à déconstruire les croyances pseudoscientifiques, lui offrent une structure théorique lui permettant d’ordonner ses pensées, de « comprendre ce qui se jouait dans son cerveau » et de revenir également sur son adhésion à toutes les autres théories du complot.

 

Un changement qui n’est pas sans effets

Un processus long, précise Sylvain, un peu déboussolant dans les premiers temps mais qui laisse rapidement place à la certitude : « … quand on est sorti de cette période de transition, au moins on est droit dans ses bottes, on sait ce qu’on veut, on sait ce qu’on sait et ça va vachement mieux ». Une certitude qui ne va toutefois pas sans une blessure à l’égo. Sylvain explique qu’il lui a fallu au moins deux ans avant d’aborder à nouveau le sujet. Tout au plus partageait-il du contenu « contre » les théories du complot, et encore, sur des sujets différents que ceux qu’il avait abordé avec ses proches. Il ajoute que nait en lui également une envie de revanche, qui aboutira à la création de sa chaîne DeBunker des Etoiles, mais c’est un sentiment de liberté qui semble le mieux résumer ce qu’il ressent alors : « On se libère d’un poids et on a vraiment l’impression, pour le coup, de retourner au monde réel ». Une réalité qui peut certes être d’une profonde banalité, note-t-il, en comparaison avec le monde plein de mystères à dévoiler qu’il a quitté. Ce besoin d’imaginaire, pourtant, reste fort chez tout le monde, même parmi les rationalistes. Sylvain raconte que toutes ses connaissances du milieu sont friandes de jeux et de littérature, de fantasy et de science-fiction : « On passe finalement d’un mode de pensée où l’imaginaire fait partie du quotidien à un mode de pensée où l’imaginaire est bien à sa place dans la case imaginaire. Mais, mine de rien, je pense qu’on a quand même un besoin d’imaginaire. »

Interrogé sur le rôle qu’a joué son entourage dans cet éloignement, Sylvain reparle de ses amis sceptiques qui lui donnaient à voir des vidéos de vulgarisation scientifique ; de son père, surtout, qu’il a toujours vu comme une personne très intelligente et dont les doutes l’ont sans cesse un peu déstabilisé. Il précise que certains de ses amis croyaient, eux aussi, mais « au final, [j’avais] plus de gens qui me poussaient dans le bon sens donc ça a dû m’aider, c’est sûr ». Une situation qu’il n’hésite pas à qualifier de chance, insistant sur l’importance de ne pas exclure un ami ou un parent qui se mettrait à partager des idées complotistes. Si tous les proches qui ne partagent pas ses idées l’abandonnent, explique-t-il, son entourage ne se composera plus que d’autres partisans de ces théories qui le renforceront dans ses convictions et le coût d’un changement de point de vue augmentera incroyablement.

Illustrant son propos, Sylvain nous parle d’un de ses amis, lui aussi acquis aux thèses complotistes. Il raconte comment ils ont suivi un parcours similaire et comment sa propre sortie, radicale, du milieu conspirationniste a probablement poussé ce dernier à s’en éloigner également, du moins partiellement. Il précise : « Même si ça aide, changer de point de vue est forcément un processus personnel. Il faut que ça vienne de soi. Si ce n’est pas nous qui changeons d’avis, qui nous disons que ça ou ça c’est faux, au final, ça ne marche pas. Si ça vient de quelqu’un d’autre, il y a toujours un moment où finalement on se dit que ce n’est pas une bonne idée, parce que ça ne vient pas de nous. »

 

Le bilan

Aujourd’hui, conclut Sylvain, cette expérience lui confère de la force à plusieurs égards. D’abord dans son quotidien, où ses nombreuses remises en question sur des convictions parfois profondes ont pu, suppose-t-il, lui inspirer une plus grande méfiance face à des pièges cognitifs similaires. « Le fait d’avoir complètement changé de mode de pensée, finalement, peut-être que ça aide à bâtir des remparts rationnels plus solides. Peut-être que ça m’aide à faire preuve de plus de scepticisme par rapport à certaines idées politiques ». Désormais, il aborde chaque nouveau sujet avec un plus grand recul.

Ensuite dans son activité de debunker des thèses complotistes, où il peut faire appel à une compréhension profonde de la position des adhérents : « On a connu réellement les sentiments que ça procure, on comprend pourquoi la personne en face à envie de croire ce qu’elle croit et pourquoi elle ne veut pas changer d’avis ». Il lutte d’ailleurs activement pour expliquer l’importance de ne pas abuser de l’appellation « complotiste » : le complotisme, développe Sylvain, est un mode de pensée systématique basé sur le complot. Chaque évènement est analysé à travers des questions du type « pourquoi est-ce arrivé ? à qui cela profite-t-il ? qui est derrière ? », en écartant d’office la thèse de l’accident, de l’erreur, du hasard. Il ne faut pas, dès lors, affubler de l’étiquette conspirationniste le moindre questionnement, face à une mesure gouvernementale par exemple, de peur que le mot ne perde son sens.

 

* La théorie conspirationniste des chemtrails avance que certaines traînées blanches créées par le passage des avions en vol sont composées de produits chimiques délibérément répandus en haute altitude par diverses agences gouvernementales pour des raisons dissimulées au grand public.

 

Avec ce témoignage, Rhizome clôt la série de publications proposées afin de mieux comprendre les mécaniques et enjeux des conspirationnismes.

Propos recueillis pour Rhizome par Simon Pichelin

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