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Actualités

25.09.20

Témoignage de Carole

Rhizome a recueilli le témoignage de Carole* qui a vécu un engagement intense de plus de deux décennies dans un groupe religieux

Rhizome a recueilli le témoignage de Carole* qui a vécu un engagement intense de plus de deux décennies dans un groupe religieux. Elle nous raconte les différentes étapes de ce parcours et nous livre les raisons qui l’ont progressivement menées à s’en distancier.

Merci à elle pour sa confiance et sa précieuse collaboration.

L’entrée dans le groupe 

Carole est née peu avant les événements de mai 68 et a grandi dans une famille désireuse d’expérimenter de nouveaux modes de vie alternatifs, notamment communautaires. Il s’agissait pour ses parents de ne pas reproduire avec leurs enfants (une fratrie de quatre dont Carole est la cadette), le schéma éducatif extrêmement conservateur qu’ils avaient eux-mêmes subi.

Dans ce contexte, et après avoir déjà vécu plusieurs années en communauté, les parents de Carole, alors âgée de 9 ans, rejoignent une organisation se voulant pionnière d’une société nouvelle et proposant des thérapies collectives. Les enfants y sont considérés comme de « minis-adultes », le principe éducatif étant que les parents ne doivent pas s’interposer entre l’enfant et le monde, mais laisser l’enfant se frotter à ce dernier et faire ses propres expériences. Après une année passée dans cette communauté, les parents de Carole décident de se séparer et la mère de famille déménage avec Carole et l’un de ses frères, les éloignant du père et du reste de la fratrie.

Carole a 12 ans lorsqu’elle intègre le groupe religieux dans lequel elle va vivre son adolescence et s’investir durant plus de vingt ans. Le premier contact avec ce groupe est établi grâce au porte à porte, démarche habituelle de ce dernier pour espérer accroître ses membres. L’un d’eux remet à sa mère des ouvrages dont les sujets fascinent particulièrement le grand frère qui sera le moteur de l’adhésion de la famille. Adhésion qui se fait naturellement également pour la mère, la doctrine du groupe faisant écho à des convictions personnelles antérieures. Suite à une rencontre avec l’un des membres, toute la fratrie est inscrite par la mère à un stage d’été de développement personnel. Le contexte familial étant plutôt conflictuel et la situation financière peu prospère, il s’agit aussi là d’une occasion de favoriser des vacances entre frères et sœurs. L’environnement dans lequel se retrouvent les enfants n’est pas étranger au mode de vie auquel ils étaient jusqu’alors habitués et il est très rapidement question des prochains stages ainsi que de la possibilité de s’engager dans la mission de diffusion du groupe. Carole s’intéresse particulièrement à la méditation permettant d’améliorer les capacités de son cerveau. Elle décide de se faire baptiser cette même année (ce qui est synonyme d’un engagement majeur) et absorbe « comme une éponge » dit-elle, les enseignements dispensés sans les remettre en question. Elle souligne n’avoir pas même lu les ouvrages « de base » avant de s’engager.

Avec le recul, Carole relie cet engagement à ses besoins d’alors, notamment celui de vouloir « faire comme les grands ». L’absence de guidance parentale et l’envie d’appartenir à une grande famille sont des éléments qui ont également joué un rôle dans son adhésion. Elle dit en effet avoir souffert d’un important manque de cadre et de sécurité dans sa petite enfance et considère que cela a sans doute favorisé son intégration dans cette structure de type hiérarchique où le leader se substitue d’une certaine manière au père de famille.

L’envie d’en sortir

C’est à l’âge de 34 ans, après un engagement sans faille de plus de deux décennies, que Carole démissionne. Son investissement, tant à l’égard du travail effectué pour le bon fonctionnement de l’organisation (présente au niveau international), que sur le plan affectif ou encore financier a été total.

Les raisons qui poussent Carole à se distancier du groupe sont multiples, mais il s’agit surtout d’une prise de conscience des incohérences entre les valeurs prônées, notamment d’amour, de liberté, de respect et de responsabilité, et les nouveaux comportements observés.

Par exemple, elle refuse les pressions grandissantes exercées sur les membres actifs de l’organisation pour accomplir certaines actions – sans chercher à en comprendre ni le sens ni la portée – ainsi que la confiance aveugle nouvellement demandée par la hiérarchie et le leader. Elle réalise que l’individu est de plus en plus amené à se soumettre à l’autorité, par exemple pour obtenir une reconnaissance ou pour éviter d’être convoqué par l’instance disciplinaire et ainsi perdre son niveau hiérarchique, ou tout simplement pour garder une place au sein de cette grande famille.

En outre, l’attitude de plus en plus élitiste des membres, un rejet grandissant de tout ce qui vient de l’extérieur (alors que c’est à l’encontre de l’enseignement d’origine), ou encore la sacralisation de plus en plus grande du leader, incitent Carole à s’interroger sur sa place au sein de cette organisation. L’idée de la quitter a néanmoins germé pendant quatre années avant de se concrétiser. L’image illustrant pour elle sa position dans ce dilemme est celle de ses pieds posés sur deux tapis roulants partant dans des directions opposées. L’une étant celle qui lui semblait juste, à savoir ce que lui dicte sa « boussole intérieure », l’autre étant celle que prenait le groupe. Elle dit avoir d’abord lutté durant cette période contre elle-même et contre l’organisation, notamment en entrant en conflit avec sa hiérarchie pour faire changer certains fonctionnements internes. Puis, devant l’impossibilité de concilier les deux, elle fait le choix de suivre sa propre voie.

C’est donc après plus de vingt ans d’engagement que Carole se détache complètement du groupe, demandant d’être radiée de tous les fichiers, et plus globalement de tout ce qui pouvait la relier à ce dernier. Il aura fallu une première action pour « mettre de la distance » entre elle et le groupe afin de « s’aérer l’esprit », soit l’annonce d’un congé sabbatique, puis s’est ensuivi la traversée d’une période sombre d’une année pendant laquelle se succèdent colère et profond chagrin, avant de finir par accepter la rupture, tourner la page et commencer à se reconstruire autrement. Il s’agissait de faire le deuil d’une famille, ou plutôt de « l’idée d’une famille » souligne-t-elle, ainsi que le deuil de l’investissement qui, pendant si longtemps, avait donné du sens à sa vie.

A ce jour, Carole a encore deux membres de sa fratrie très engagés dans cette communauté avec qui elle tâche de conserver de bonnes relations. Pour ce qui est des autres membres de l’organisation, elle évite tout contact avec eux.

Où trouver les ressources ?

Comme ressource extérieure l’amenant à remettre en question tant le groupe que son désir de s’engager, il y a notamment eu une formation de coaching suivie au cours de l’année qui a précédé sa démission. Cette formation induit pour Carole un changement de regard sur le comportement de certains responsables supposés être capables d’accompagner les membres dans leur développement personnel, soit « comme des coachs », ce qui accélère la remise en question.

Une autre ressource importante est pour Carole un ouvrage listant des besoins et sentiments humains. Dans la phase critique de sa démission, elle y trouve l’inspiration pour identifier ses propres besoins afin de chercher de nouvelles stratégies pour les satisfaire, mais cette fois en ayant défini ses propres critères.

Selon elle, l’un des outils majeurs pour se prémunir des potentielles dérives occasionnées par ce type de groupe réside dans l’opportunité de développer un esprit critique afin d’être le plus autonome possible dans ses choix. Cette aptitude peut notamment s’acquérir par l’éducation, et plus spécifiquement par la mise en place d’espaces sécures où les jeunes auraient l’occasion d’aborder leurs questionnements existentiels en présence de différents professionnels. Carole souligne l’importance d’avoir son propre jugement pour être en mesure de « faire le tri » et dit aujourd’hui « avoir suivi l’étoile de quelqu’un d’autre avant de, finalement, avoir trouvé la sienne ».

Pour ce qui est du soutien moral, la mère de Carole, qui avait pour sa part démissionné quelques années avant sa fille, est la seule personne à avoir été soutenante, soit présente, à l’écoute et non-jugeante, pendant cette période tourmentée.

Certaines caractéristiques inhérentes à sa personnalité ont également joué un rôle dans sa prise de conscience et sa capacité à réagir face aux dysfonctionnements qui se sont multipliés dans l’organisation. Sa confiance en son avis personnel, sa capacité à faire face à l’ingérence et à la pression, son amour pour l’humanité dans son ensemble – dissonant avec l’attitude élitiste et de repli identitaire – sa capacité d’introspection, son aptitude à se retrouver seule, ont notamment été des ressources supplémentaires pour réussir à prendre du recul.

La reconstruction

Ce grand besoin de donner du sens à sa vie et de se sentir utile pour l’humanité pousse Carole à entamer un travail conséquent sur ses propres valeurs et convictions. De ce travail naîtra un projet qui l’a conduit à se réorienter professionnellement.

En parallèle, Carole fait la démarche d’approcher une association œuvrant en faveur des femmes, dans le but notamment d’échanger sur sa relation amoureuse vécue avec le leader du groupe, un homme bien plus âgé qu’elle, alors qu’elle était adolescente. La réaction de son interlocutrice est à ce point pétrie de préjugés, qu’elle décide de se passer d’un quelconque service d’écoute et de conseils et continue d’avancer avec certains problèmes non-résolus. Pour Carole, il était hors de question de se tourner vers une structure luttant contre les sectes, notamment car l’une d’elle avait dénoncé auprès de son réseau professionnel son lien avec l’organisation pourtant quittée, ceci ayant occasionné de fâcheuses conséquences.

C’est finalement douze ans après sa démission, alors que Carole traverse des difficultés dans sa relation de couple, que certains ressentis liés à sa relation passée avec le leader du groupe refont surface. Elle décide de faire appel à une psychothérapeute qui saura l’accompagner dans un travail plus profond incluant ses émotions. Carole réussit alors à se détacher de ce qu’elle nomme une « loyauté invisible » envers cet homme influent qui avait « fait son éducation sentimentale à ses dépens ».  

Et Carole de conclure : « Les murs érigés par l’éducation ne sont pas déplacés par l’effet du temps. L’habitant de sa propre demeure, apprenant à en être à la fois l’architecte et l’artisan, peut décider de reconstruire sa maison autrement ».

*Prénom d’emprunt

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